« Bonjour Mr. O’Brady. Je vous en prie, asseyez-vous. »

Rhys jeta un coup d’œil circulaire autour de lui. Les couleurs chaudes de la pièce le mettaient quelque peu en confiance et c’était sans doute l’effet recherché par la psychologue. Il prit place sur le canapé en accord avec ce qu’on lui demandait et il attendit.

« D’après ce que je vois ici, c’est votre sœur qui a pris rendez-vous pour vous ? »

Demi-sœur. En effet, Gabe était sa demi-sœur par son père. Habituellement, il la considérait comme son double mais là, s’il était dans ce cabinet, c’était par sa faute. Parce que mademoiselle trouvait que son grand frère commençait à dérailler un peu trop.

« C’est ça… »

Il n’était pas heureux d’être là et ne le cachait pas du tout, sa seule envie était de rentrer chez lui et de jouer avec son fils.

« Je comprends que vous n’ayez aucune envie d’être là, mais le fait que vous soyez venu malgré tout montre que vous savez que vous avez un problème et qu… »

« Ou alors que ma sœur est une tueuse et que je préfère passez toute une après-midi avec vous plutôt qu’avec elle lorsqu’elle est contrariée. »

Un sourire apparu sur le visage de la doctoresse. L’humour était la meilleure défense de Rhys lorsqu’un sujet prenait une direction qui ne lui plaisait pas. Quoi que, ici, ce n’était pas vraiment un mensonge.

« Très bien. Et si nous commencions ? Racontez-moi donc votre histoire et vos ressentis qu’on essaye, ensemble, de trouver la raison pour laquelle vous êtes ici avec moi. »

Rhys hocha la tête. Tous les moyens étaient bons pour sortir de là. Il n’aimait pas vraiment parler de lui mais il était conscient que s’il se confiait maintenant, il n’aurait plus à le refaire par la suite. Il commença donc son récit…

Je suis né à Dublin le premier janvier. Quelques jours après ma naissance, ma mère a contracté une violente grippe. Très vite, elle est devenue faible et en un mois, la maladie eu raison d’elle. Mon père, le célèbre joueur de hockey sur glace Kaleb O’Brady, fut dévasté. Pourtant, il ne mit pas énormément de temps avant de retrouver une femme et de fonder une nouvelle famille. En effet, j’avais deux ans quand Julian, mon demi-frère, est venu au monde. Notre père s’est très bien occupé de nous, il a même arrêté plus de la moitié de ses projets publicitaires pour passer plus de temps à la maison. Il passait des heures à jouer avec nous, il m’a appris, vers mes trois ans et demi, la seule chanson capable de calmer Julian car on ne pouvait pas vraiment compter sur ma belle-mère. Elle n’était pas méchante, bien au contraire. Cependant, elle n’était jamais à la maison. J’appris bien plus tard qu’en fait, elle trompait mon père car celui-ci ne la satisfaisait plus… D’où le divorce. Mon père était un bel homme et, en plus de ça, il était assez connu. Il n’avait donc aucun problème pour trouver des femmes mais il n’a jamais vraiment été fan des histoires sans lendemain. Ce qu’il cherchait, c’était l’âme sœur. Pour lui, ma mère était cette personne malgré tout, il restait persuadé que quelque part, il y avait une autre femme faite pour lui. Bizarrement, il m’a transmis cette pensée… Il trouva son bonheur environ un an après le divorce. Il l’a rencontrée lors d’un de ses matchs de hockey aux Etats-Unis et à la grande surprise de mon père, elle ne savait pas du tout qui il était. Ils sont finalement tombés amoureux et mon père a décidé d’emménager avec elle à Seattle. Il m’a emmené avec lui et s’est battu pour obtenir la garde de Julian, malheureusement c’est son ex-femme qui a gagné le procès. J’ai donc été séparé de mon frère et je me suis senti abandonné. Je n’avais pas l’habitude de jouer tout seul et surtout je ne comprenais pas pourquoi Julian n’était plus là. Cependant, mon père était heureux et c’est tout ce qui comptait. Aria, ma nouvelle belle-mère, s’est tout de suite attachée à moi et moi à elle. Je respecte entièrement la mémoire de ma mère, pourtant c’est cette femme que j’appelle « maman ». Lorsque j’eu six ans, maman donna naissance à Gabriel que tout le monde a toujours appelé Gabe. Nous avons grandis ensemble et je me suis beaucoup occupé d’elle. Petite, elle me suivait comme mon ombre, elle se cachait derrière moi quand elle avait peur et me faisait tout le temps plein de bisous et de câlins. Quelques années ont passées et malgré nos six ans d’écart, nous sommes restés extrêmement proches. Elle est tout pour moi, même si c’est elle qui m’a traîné par la peau des fesses dans ce maudis cabinet… Sans vouloir vous offenser.

J’ai commencé le basket à l’âge de dix ans et depuis j’adore ça. Je me suis très vite perfectionné et je suis entré dans une bonne équipe. C’est au lycée que je me suis fait connaitre par les recruteurs. J’étais un bon élève, j’avais juste une dent contre les maths, c’est pourquoi j’étais bien content d’avoir le basket pour me remonter ma moyenne. Un soir, après un match, j’avais seize ans, un homme est venu me voir. Il m’a proposé de lâcher le lycée et prendre des cours par correspondance pour entrer dans l’une des meilleures équipes juniors des Etats-Unis. J’ai tout d’abord hésité car je ne voulais pas laisser ma petite sœur, mais après une longue réflexion, j’en ai finalement parlé à mon père. Après tout, rien ne me retenait au lycée. Certes, j’étais populaire et j’avais des amis mais je me disais que j’aurai tout autant d’amis ailleurs, quant à la popularité je m’en fichais complètement. Cela facilitait juste les choses de temps en temps. Mais papa a dit non. Il m’aura fallu plus de deux mois pour réussir à le convaincre de me laisser partir pour Los Angeles. J’ai dut lui promettre de bien suivre mes cours par correspondance, de garder ma moyenne au-dessus de dix et d’appeler tous les deux jours pour rassurer ma sœur. Car oui, de toute la famille, c’était celle qui voulait le moins me voir partir. Je revenais tous les weekends quand je le pouvais, c’est-à-dire quand je n’avais pas de matchs et je les passais avec Gabe.

Je suis devenu l’un des meilleurs basketteurs de l’équipe et à mes dix-huit ans, j’ai été engagé dans une équipe de meilleur niveau et de renommée internationale. J’ai commencé à être rémunérer et grâce aux différents matchs, j’ai voyagé à travers le monde. Pour moi, c’était simplement un rêve. Vous voyez, ma vie était parfaite. Je ne manquais de rien, je réalisais un à un mes rêves les plus fous. Souvent quand quelqu’un vous annonce d’entrée de jeu que sa mère est morte, que son père s’est marié trois fois en tout, qu’il a deux demi-frères ou sœurs, on s’imagine automatiquement que son enfance a été difficile, pourtant ça n’a pas du tout été le cas. J’étais très heureux. J’étais très bien intégré dans l’équipe, j’étais le plus jeune mais c’était moi qu’on appelait le sage, je réglais les conflits et je remotivais tout le monde quand tout espoir semblait perdu. J’avais des amis à travers le globe, j’avais quelques fans aussi. Et beaucoup de filles à mes pieds, mais c’était déjà le cas au lycée. Pendant environ six mois, alors que j’avais 17 ans, j’ai enchainé coup d’un soir sur coup d’un soir avant de vraiment réaliser que ce n’était pas de ça que je voulais. Je me suis dit que je tenais de mon père et j’avais sans doute raison. Pendant un voyage à Paris pour un match, j’ai rencontré une fille au pied de la tour Eiffel. Ce n’était pas une française mais une anglaise en vacances qui vivait à Dublin. On a beaucoup discuté, puis je tombé sous son charme, je ne pouvais plus me la sortir de la tête. Et par miracle, je l’ai revue à l’aéroport alors que je prenais un avion pour rendre visite à Julian qui vivait encore avec sa mère. Il se trouve qu’elle prit le même appareil que moi. Je réussi à échanger ma place première classe contre le mec qui était à côté d’elle sans trop de difficultés et pendant une heure et demi, nous avons parlé. Lors de mon court séjour en Irlande, nous nous sommes revus, nous avons pris un café, été au cinéma, au restaurant et même à une manif, je ne me souviens même plus pourquoi c’était. Je lui ai finalement proposé de venir avec moi à Seattle. Certes, nous étions jeunes et nous nous connaissions depuis peu mais ce fut le coup de foudre. Et contre toute attente, elle me suivit.

Un jour, tout a basculé. Sully était à son huitième mois de grossesses et nous prenions un ferryboat pour rentrer à la maison mais celui-ci eu un accident. Le choc entre le bateau et la côte fit des centaines de morts. Sully fut gravement blessée contrairement à moi qui m’en sortais avec un simple bout de ferraille dans la jambe. Nous fûmes emmenés à l’hôpital en urgence et nous fûmes tous deux opérés. Lorsque les médecins en eurent finit avec moi, ils m’apprirent que le bébé allait bien, que mon fils était sauf et que sa mère était toujours inconsciente mais qu’elle vivrait. J’étais tellement soulagé que je me mis à pleurer tellement la pression avait été forte. J’ai ensuite réalisé que mon bébé était un garçon. Je suis allé le voir, puis je me suis précipité dans la chambre de Sully. Bon précipité, c’est beaucoup dire, j’étais en fauteuil roulant poussé par une infirmière… Elle était encore endormie…

Au bout de deux jours, elle ouvrit finalement les yeux. Je l’ai embrassée et c’est là qu’elle m’a demandé : « mais qui êtes-vous ? où suis-je ? » Et là ce fut le choc ultime, j’eu beau tout lui raconter, nos souvenirs, notre rencontre, qui elle était, que nous avions un fils magnifique… rien ne lui revint. Elle avait un an de moins que moi et pour elle, être mère à dix-huit ans, ce n’était pas possible. Elle était devenue une femme totalement différente de celle dont j’étais tombé amoureux. Elle subit quelques interventions et je suis resté avec elle dans l’espoir qu’elle retrouve ses souvenirs seulement rien. Un jour, elle m’a annoncé, que la vie dont je lui avais parlée n’était plus la sienne. Qu’elle n’était plus la femme que je connaissais et qu’elle était encore moins une mère. En bref, elle m’a annoncé qu’elle me quittait. J’eu du mal à l’accepter mais je n’eu pas vraiment le choix. Surtout en la voyant au bras d’un autre. Elle a légalement renoncé à la garde de notre fils, puis elle a quitté la ville.

J’avais besoin d’un nouveau départ quand j’ai reçu un coup de téléphone de Julian qui me demandait de l’aide pour échapper à sa mère, j’y ai vu une bonne opportunité pour changer d’air. Gabe a tout de suite posé ses cartes sur la table, ça se résumait en un : « si tu pars avec Julian et mon neveu, je viens avec vous, un point c’est tout. » Et en effet, je n’ai pas eu le choix car les parents ne voulaient pas voir leur petite fille chérie triste et seule. Il nous fallait une destination, ayant déjà été en Australie, j’ai opté pour Perth. Une très jolie ville. C’est ainsi que la fratrie O’Brady s’est installé dans cette petite ville. Pendant cinq ans et demi, j’ai entrainé la petite équipe féminine junior de la ville, j’ai élevé mon fils, j’ai pris soin de ma famille, je me suis fait des amis, j’ai essayé de passer à autre chose et d’oublier Sully… mais que voulez-vous, elle a été la seule et unique femme pour qui j’ai eu des sentiments, cette femme qui a disparu laissant place à une autre personne totalement différente. Dites-moi docteur, comment je pourrais aller bien alors que six ans après nous avoir abandonné son fils et moi, je la revoie ici à Perth alors qu’elle n’aurait jamais dut arriver jusqu’ici et qu’elle ne se souvient même pas de moi ! Le gars un peu cinglé qui lui parlait d’une vie dont elle ne se souvenait pas… Ah qu’il est beau le hasard !!


« Votre sœur dit que depuis votre rupture, vous avez beaucoup changé. »

« Bien sûr que j’ai changé, je ne suis plus optimiste, je vis chaque jour comme si il n’y en aurait plus aucun autre, je ne fais plus de projets… et tout ça me va très bien comme ça. »

« Elle vous dit plus violent aussi… Est-ce qu’elle parle de violence envers elle, envers votre fils ? »

« Pardon ?! Je n’ai jamais levé la main ni sur ma sœur, ni sur mon fils. Au contraire, je suis très protecteur envers eux. Je suis par contre plus impulsif et par conséquent plus brutal. De plus, si quelqu’un s’en prend à mes proches, je n’ai aucune raison de ne pas lui taper dessus. Et si ça peut vous rassurez, je gère mon trop plein d’énergie en courant tous les matins… Satisfaite ? »

« Eh bien, je pense que vous n’aurez pas besoin d’un second rendez-vous. Vous avez l'air de savoir exactement ce qui ne va pas chez vous et vous semblez être le genre d’homme à tout faire pour régler ses problèmes. Je crois juste que pour vous vous penchiez sur vos soucis pour pouvoir les régler, il vous faut une certaine motivation. Tant que ceux-ci n’interfèrent pas sur vos relations avec vos proches, vous ne vous en occuperez pas. Cependant, de savoir que vous en avez conscience me suffit. Je vous dis donc au revoir Mr. O’Brady. »