« - Bonsoir ? »

Déconcerté, Alekseï se retourna, surpris. Il pensait depuis fort longtemps être le seul habitant de toute l'Australie qui s'aventurait encore dehors en des heures si tardives. En soupirant, il inclina la tête, ne sachant pas réellement comment réagir à cette intrusion. La voix provenait d'une petite femme aux cheveux clairs, l'air dubitative, un sourire venant toutefois égayer ses traits rieurs. Curieux, il s'avança délicatement à travers la pénombre, pour s'approcher de la fameuse femme en question, les bras croisés et les lèvres pétillantes. Une sorte de Zéphyr, en version heureuse... Il inclina le visage vers elle, pour lui faire face.

« - Bonsoir jeune inconnue. » La salua-t-il, surpris de trouver quelqu'un à cette heure si avancée de la soirée.

Elle était amusante, du moins, elle parraîssait épanouie, contrastant avec le visage fatigué et les paupières cernées de noir d'Alekseï. Heureusement qu'il faisait sombre, ainsi, elle ne pouvait pas remarquer ce genre d'artifices qui faisaient de lui un homme malheureux. Il s'accroupit au sol, une cigarette à la main, hésitant entre recommencer à recouvrir la moindre parcelle de ses poumons d'une couche immonde de gourdon jusqu'à la mort, ou la jeter car il n'en voyait aucune utilité. Il se tourna lentement vers son interlocutrice, pour l'interroger sur regard, à la fois heureux d'avoir une présence à côté de lui, lui qui vivait dans une solitude profonde, et gêné, de peur de dire quelque chose qu'il ne fallait pas ou faire n'importe quoi.

« - C'est pas très prudent de se balader seule dans la nuit. » Se résolut-il à dire.

BAM. Comment avoir l'air étrange.

Regardant l'homme qui venait de s'agenouiller, cigarette en main, je fus prise d'une certaine gêne. L'avais-je dérangé ? Peut-être que je l'embête, à présent ? Je fis tout de même un sourire sincère lorsqu'il posa son regard une nouvelle fois sur moi. Je fus tout de suite intriguée par cette personne. Visiblement, nous avions des choses en commun : nous étions les deux seuls à se balader à une heure pareille sur la plage. Peut-être qu'il cherche à se remplir les poumons d'air frais, lui aussi ? Je lâcha mes souliers qui allèrent s'enfoncer dans le sable encore chaud sous mes orteils. Après une seconde d'hésitation, je m’accroupis, faisant danser mes mains entre les grains de sable. Je n'allais jamais à la plage quand j'étais petite. Mes parents trouvaient sans doute cette sortie trop commune. –Et Dieu sait à quel point mes parents ont horreur des choses qui sont communes.– Pourtant, j'adore la mer et la plage à perte de vue. Lorsqu'il reprit à nouveau la parole, faisant allusion aux dangers qu'il pouvait y avoir à se promener seul sur la plage à cette heure, je ne pus m'empêcher de rire. Un rire sincère et doux, pas comme ces rires faux que j'avais l'habitude de projeter lors des soirées mondaines auxquelles j'appartenais. « Si vous saviez à quel point je me moque de la prudence, en ce moment ! De nos jours, il faut tellement faire attention à tout que ça nous empêche littéralement de vivre, alors. Pour le moment, je me contente de vivre et après, quand je serai bien vieille, je ferai plus attention ! » Lançais-je, sans me rendre compte que j'étalais mes points de vue philosophie face à un inconnu. Mon instinct me laissant croire, néanmoins, qu'il n'est pas méchant. Sinon, il m'aurait déjà attaqué et il ne se serait même pas donné la peine de me saluer.

« - Si vous saviez à quel point je me moque de la prudence, en ce moment ! De nos jours, il faut tellement faire attention à tout que ça nous empêche littéralement de vivre, alors. Pour le moment, je me contente de vivre et après, quand je serai bien vieille, je ferai plus attention ! »

Alekseï haussa un sourcil, amusé d'une telle présentation et tapota la place à côté de lui, pour qu'elle vienne s'asseoir à ses côtés, au chaud, au creux du sable. Ce genre de rencontres follement originales méritaient bien une certaine proximité. Il esquissa un petit sourire, et inclina discrètement la tête, près d'elle.

« - Je ne pense pas être assez vieux pour être vouvoyé... » Ronronna-t-il, faussement vexé.

Il se surprit lui-même de son attitude détachée, et si paisible, lui qui était d'habitude si réservé, surtout avec les inconnus. Il suffit parfois d'un petit rien pour tout changer. Ainsi, sans son uniforme de chirurgien, Alekseï était définitivement un autre homme. Or, il l'enlevait si rarement, qu'il ne pouvait finalement pas savoir. Il se mordilla la lèvre un moment, hésitant entrer se goudronner de l'intérieur ou reposer cette instrument de torture, mais opta pour le conseil de la jeune inconnue, et accepta de se moquer de la prudence. Il alluma sa cigarette et inspira les premières bouffées meurtrières.

« -C'est quoi, ton petit nom ? » Demanda-t-il, regardant ses yeux briller dans le noir.

Lorsque l'homme en question tapota le sable près de lui, je compris tout de suite qu'il souhaitait que je prenne place à ses côtés. Après tout, que risquais-je, à part passer un peu plus de temps que prévu dans cette noirceur ? La nuit est jeune et j'aurai tout le temps souhaité pour dormir, demain. Aussi bien profiter de cette jeunesse et faire ce qui me plait. En ce moment, je ne pense même pas aux conséquences et je me moques assez de qui cet homme peut être en réalité. Je veux dire... Bien des gens n'auraient pas oser parler à un étranger, de peur qu'il s'agisse d'un pédophile ou d'un vieux fou. Moi, au contraire, je pense qu'en chaque personne il y a du bon, voilà pourquoi je n'ai pas peur des gens que je ne connais pas. Téméraire ? Oui, sans doute un peu trop. Mais ce n'est pas cette témérité qui m'a presque tué. Au contraire, c'est ça qui m'a sauvé. « - Je ne pense pas être assez vieux pour être vouvoyé... » À cette remarque, je ne pus m'empêcher de rire à nouveau. Je passais sans doute pour la fille qui ne cesse jamais de rire, mais au moins ça prouve que j'ai un bon sens de l'humour et que je suis enjouée de façon naturelle. Je hocha la tête en signe d'approbation. Malgré la noirceur, j'arrivais à voir les traits de son visage. Pas vieux du tout, je pourrais même dire. Seulement, on m'a éduqué en tant que bonne fille et j'ai gardé la bonne habitude –ou la mauvaise, tout dépend des personnes– de vouvoyer les personnes qui me sont étrangères ou que je crois plus âgées que moi. « -C'est quoi, ton petit nom ? » Je souris de nouveau, un peu timide avant de répondre. « Je m'appelle Kaei. Mais tout le monde me surnomme Sye... » dis-je, en me tournant la tête vers lui pour lui faire un grand sourire. Oh seigneur, je devais sans doute lui paraître si nunuche et si... blonde. Tant pis.