14 Avril.

La plaie n'était pas jolie à voir. Une contusion jaunie, de plus de neuf jours, sans doute, qui était sauvagement lacérée par une plaie rougeâtre, faisant déglutir les quelques rares stagiaires derrière lui. Il inspira vivement, confus, avant de sortir de la poche intérieure de son veston blanc un stylo et un morceau de papier. Maladroitement, il griffona le nom du patient et le passa à l'infirmière, pour qu'elle le signale à la réception. Le patient n°432 Rodrick Duhamel, 24 ans, accident de moto, était désormais pris en charge par le docteur A. Vassiliev.

Malgré l'état de la blessure, Alekseï connaissait par coeur son métier. Les gestes étaient fluides, comme guidés par une force intérieure. Son esprit méthodique, implacable, lui permettait d'accéder à un haut poste de chirurgien spécialisé en traumatologie, et d'être le mentor de quelques vingtaines de petits nouveaux. Vu ainsi, Alekseï pourraît être parfait. Mais ce n'était définitivement pas le cas. L'esprit embourbé par ses pensées, il se concentrait à la fois sur ce que faisaient ses doigts - Injecter le bon dosage, enfoncer le scalpel au creux de la cuisse du blessé, se charger de suturer correctement sous l'oeil charmeur des étudiantes - et sur ce qui faisait de lui un homme malheureux. - Zéphyr. Zéphyr. Zéphyr. Je t'en prie. Je t'en prie. J'aimerais tellement, tellement t'aimer au grand jour. La Belle et Paisible Zéphyr. Pourquoi est-ce que tout est si difficile... -

« - Docteur, quelle dose d'antihistaminique doit-on injecter au patient après les points de suture ? »

Agacé, Alekseï releva la tête un milième de seconde pour croiser le regard de Millie, une stagiaire qui posait tellement de questions qu'il commençait à se demander si elle n'était pas atteinte d'un rare syndrôme psychiatrique qui la rendrait aussi énervante. 6 semaines. Il faudra la supporter 6 semaines encore. Il soupira nerveusement.

« - 35ml. Pas plus. Faîtes attention à ne pas commettre de dégats, Mademoiselle Millie. »

Elle gloussa joyeusement, pensant sans doute qu'il plaisantait avec elle et qu'ils partageaient une relation priviligiée. Si Alekseï aurait pu, il l'aurait sans doute balancée par la fenêtre depuis le premier jour pour ce genre de rires. Pendant qu'elle s'activait à chercher de l'Atarax - Pas trop fort pour des points de sutures, mais juste assez pour calmer les picotements qu'il pourraît ressentir - il se reconcentra sur son opération, et veillait à coudre du mieux qu'il pouvait, pendant que son patient avait déjà fermé les yeux, en sueur. Il avait certainement été effrayé, ce qui expliquait les frissons qui l'avaient parcouru quand sa main est entrée en contact avec l'objet tranchant, mais il s'est finalement rassuré quand il a pu sentir que la douleur avait disparu, grâce à l'anésthésiant. Alekseï plongea à nouveau dans ses pensées, dubitatif. « Rien ici ne vaudrait la peine si Zephyr décidait de s'en aller du jour au lendemain. Ou pire encore, si elle décide de s'installer avec Stanislav, je ne sais pas si je le supporterai... » Son nez le picota, et il plissa les yeux. Il avait du chagrin. Mais il ne pleurerait pas comme une fille. Non, ce n'était pas son genre.

Une main s'imisça contre son épaule. Arthur, 3ème année, les sourcils froncés.

« - Docteur Vassiliev, vous allez bien ? »

Silence.

« - Oui. »